La possibilité que le Tribunal judiciaire de Paris déclare Marine Le Pen inéligible a provoqué une pluie de réactions critiques de la part d’hommes politiques allant de Gerald Darmanin, Karl Olive (lui même récemment condamné) ou Christian Estrosi et de façon plus étonnante jusqu'à Jean-Luc Mélenchon.Pour Darmanin, la peine d’inéligibilité ne devrait pas s’appliquer à elle, car elle a prévu de se présenter à l’élection présidentielle en 2027. Jean-Luc Mélenchon a quant a lui déclaré, sur X et sur France 3, qu’il s’opposait d’une part à l’automaticité de la peine complémentaire d’inéligibilité, et d’autre part à l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité à Marine Le Pen, indiquant que « la crise politique serait aggravée sans aucun avantage pour la société ».
Rappelons tout d’abord que l’éligibilité n’est pas un droit absolu. Il existe des règles d’âge, de nationalité, de lieu de résidence, et des incompatibilités professionnelles. Il existe aussi des règles de non-cumul dans le temps, comme celle qui s’applique à Emmanuel Macron vis-à-vis de la prochaine élection présidentielle. Le fait qu’une personne en particulier ne puisse pas se présenter à une élection n’est pas si grave. Cela n’empêche en rien son parti de présenter une candidature. Ainsi, les réactions choquées révèlent une vision très personnaliste de la politique dans laquelle la personne du chef de parti remplace le parti lui-même.
Ensuite, soulignons que la peine d’inéligibilité s’inscrit dans des lois de protection de la qualité démocratique. Elle est prévue, par exemple, en cas de violation de certaines règles de financement de la vie politique. Elle est parfois sous-utilisée, par exemple lors des condamnations pour incitation à la haine raciste (Zemmour..). Dans le cas de Marine Le Pen, il s’agit de lois « pour la confiance dans le vie politique ». Nous savons que le dégoût civique est l’arme des puissants et des possédants pour que les citoyens ne se mêlent pas de politique. Dégoûter les gens des élections en ne nommant pas un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête aux législatives, en faisant adopter par 49 al.3 une loi retraites à laquelle tout un peuple s’oppose, ou un budget qui n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale, c’est l’assurance vie des injustices. Pour l’instant, ces comportements dégoûtants sont légaux voire constitutionnels, et c’est tout l’enjeu du changement de constitution.
Heureusement, d’autres comportement sont interdits et punis par le code pénal, notamment les délits dont on ne peut véritablement être l’auteur que si on détient une position de pouvoir, gouvernementale ou élective. Dans ces cas, il semble très important que les abus de pouvoir se traduisent par une peine sur mesure, la peine de privation de droits civiques et d’inéligibilité. De même qu’une gérant de société peu scrupuleux sera interdit d’occuper cette fonction, il est indispensable que les politiques ayant manqué d’éthique deviennent inéligibles. Il s’agit d’une mesure de protection de la société.
Alors que penser de l’affirmation de Darmanin qui argue de la fonction de candidate à la présidentielle de Marine Le Pen pour en déduire une logique d’impunité ? C’est un non-sens ! C’est précisément parce qu’elle est candidate que la peine idoine est l’inéligibilité. La défense de Darmanin est une auto-protection de caste que nous devons dénoncer comme telle. Il n’y a pas de caste présidentielle à l’abri de la loi ! Les faits reprochés à Marine Le Pen courent de 2011 à 2016. Elle a donc pu se présenter déjà trois fois (2012, 2017, et 2022) en étant, si c’est confirmé par le tribunal, auteure de détournements massifs de fonds publics (4,3M€). En réalité, l’impunité a déjà bien assez duré et on peut comprendre aisément l’argument des procureurs de la République en faveur de l’exécution provisoire de la peine. Après des dizaines de recours dilatoires, le risque d’impunité totale est bien réel, et il doit être pris en compte, dans l’intérêt de la Justice et de la démocratie. En effet, si Marine Le Pen était par malheur élue présidente, elle serait alors protégée par une immunité de rang constitutionnel. Y a-t-il quelque chose de plus insupportable et dégoûtant que l’impunité ?
La loi est équilibrée et il faut la soutenir. La peine d’inéligibilité est la règle générale, mais le juge peut y déroger par décision spécialement motivée. L’exécution provisoire n’est pas la règle générale, mais le juge peut l’ordonner par décision motivée. Nul besoin des cris d’orfraie en soutien à Marine Le Pen. Le tribunal jugera en toute indépendance, il motivera sa décision, et les voies de recours seront exercées, conformément à la loi.
Est-ce que la décision aura un effet sur la vie politique et démocratique ? Nécessairement. Soit que Marine Le Pen maintienne sa candidature malgré une condamnation en première instance avec une épée de Damoclès, soit qu’elle soit d’ores et déjà inéligible, l’élection de 2027 en serait affectée. C’est à elle d’en tirer des conclusions, pas au Tribunal.
Vive l’éthique en politique et la démocratie !
Raquel Garrido