Les vendanges de la honte

Publié par L’APRÈS le 27 juin 2025

Quand le travail agricole s’éloigne de l’État de droit

Le procès des « vendanges de la honte », qui s’est tenu le 19 juin 2025 à Châlons-en-Champagne, a révélé des faits d’une gravité exceptionnelle : plus de cinquante travailleurs étrangers ont été exploités dans des conditions indignes dans les vignes champenoises. Logements insalubres, absence d’eau, salaires non versés, pression psychologique et parfois physique : ces pratiques sont qualifiées de traite d’êtres humains.
En parallèle, plusieurs décès sont survenus lors des vendanges 2023 en Champagne, dans un contexte de chaleur extrême et de pressions de rendement, venant rappeler la vulnérabilité persistante des ouvriers agricoles saisonniers
Ce procès a confirmé ce que nombre de syndicats (CGT, Solidaires, Confédération paysanne) et associations de défense des droits humains (LDH, Comité contre l’esclavage moderne) dénoncent depuis des années : la précarisation des métiers agricoles saisonniers, le recours massif à la sous-traitance opaque et l’insuffisance des contrôles publics ouvrent la voie à des violations systématiques des droits fondamentaux.

Nous pensons que ces faits ne peuvent être considérés comme de simples dérives isolées. Ils interrogent plus largement notre modèle agricole, le fonctionnement des filières viticoles, et le regard que nous portons, collectivement, au travail manuel et à celles et ceux qui le réalisent, souvent dans l’ombre.

Le contraste est d’autant plus frappant qu’il s’agit ici de la production de champagne, un produit emblématique soumis à un cahier des charges exigeant — notamment l’interdiction de la mécanisation de la récolte, qui impose la vendange manuelle. Ce processus garantit une qualité reconnue, mais la rémunération des vendangeurs et vendangeuses demeure faible au regard de la valeur ajoutée générée par la filière : le coût moyen de production d’une bouteille atteignait 11,10 € HT en 2022, et le coût de la main-d’œuvre pour la vendange représente environ 1,20 à 1,80 € par bouteille, soit seulement 11 à 16 % du coût de production total. Dans ce système, le prestige associé au champagne tend à occulter la précarité de celles et ceux qui le récoltent, même si leur travail reste indispensable au respect des exigences de l’AOC.

Par ailleurs, il faut souligner que les grandes maisons de champagne, notamment celles du groupe LVMH, orientent résolument leurs ventes vers l’export, en visant des marchés premium comme les États-Unis, où les volumes fluctuent peu en période de crise. Cette stratégie, combinée à leur puissance marketing, accentue la concentration du secteur et renforce leur capacité à capter l’essentiel de la valeur ajoutée, au détriment des vignerons champenois traditionnels qui peinent à maintenir leur rentabilité face à la pression commerciale et aux exigences du cahier des charges.

À travers ce communiqué, le groupe de travail Agriculture, Alimentation, Ruralité de l’Après souhaite contribuer à faire vivre un débat public de fond, autour de plusieurs questions essentielles :

  • Comment protéger la dignité des travailleuses et travailleurs saisonniers dans l’agriculture française ?
  • Comment éviter que des logiques de rentabilité à court terme ne se traduisent par des mécanismes de sous-traitance incontrôlés ?
  • Comment assurer la transparence des responsabilités dans les chaînes de production agricoles, tout en maintenant la viabilité des exploitations ?
  • Et surtout : comment construire un modèle agricole et alimentaire qui permette à la fois un accès de toutes et tous à une alimentation de qualité, et un respect plein et entier de celles et ceux qui la rendent possible ?

Et surtout : comment construire un modèle agricole et alimentaire qui permette à la fois un accès de toutes et tous à une alimentation de qualité, et un respect plein et entier de celles et ceux qui la rendent possible ?
Nous invitons toutes les forces concernées - citoyennes, syndicales, agricoles, institutionnelles - à se saisir de ces événements pour repenser ensemble un avenir agricole plus juste, plus transparent et plus humain. Un avenir dans lequel la performance économique ne se fera plus au détriment des droits fondamentaux, et où l’alimentation sera reconnue comme un bien commun, indissociable de la dignité du travail agricole.

Publié par L’APRÈS le 27 juin 2025