Municipales à Villeneuve-Saint-Georges : « Ni rire, ni pleurer, comprendre »

Publié par L’APRÈS le 04 février 2025

« Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus.»

Qui aura la lucidité de redire à Jean-Luc Mélenchon les mots de Pyrrhus ?

À croire ses lieutenants, dont le candidat malheureux Louis Boyard, l’élection municipale partielle de Villeneuve-Saint-Georges des 26 janvier et 2 février derniers est un premier succès pour LFI, annonciateur de beaucoup d’autres pour 2026, quand l’ensemble des conseils municipaux de France seront renouvelés.

Les 39 % des voix du deuxième tour de dimanche dernier, comparés aux 27,21 % de la liste de gauche présente au deuxième tour de 2020, seraient même un motif de satisfaction, une « fierté » selon l’« élément de langage » répété à satiété sur tous les réseaux sociaux par les responsables Insoumis au soir du deuxième tour. Passons vite sur la comparaison qui néglige qu’une liste LFI avait à l’époque obtenu 10 % des voix au premier tour sans appeler à voter pour la gauche au second, et que tout le scrutin s’est alors déroulé dans un pays bouleversé par le Covid, le deuxième tour se tenant plus de deux mois après le premier.

La vérité est que même en comparaison avec 2020, le score de la liste Boyard est médiocre.

Pourtant, quoi qu’affirment Manuel Bompard, dans une laborieuse note de blog, et les stratèges de LFI, la situation électorale à Villeneuve-Saint-Georges était des plus favorables cette fois-ci. Les faits, comme les résultats sortis des urnes, sont têtus, les voici. En 2022, Jean-Luc Mélenchon a réuni dans la commune 3.718 voix, soit 46,19 % des suffrages exprimés. Quelques semaines plus tard, aux élections législatives, Louis Boyard obtient 1.692 voix et 40,17 % des suffrages au premier tour avant de l’emporter avec 2.613 voix et 62,36 % dans la commune. Aux élections européennes de juin 2024, la liste LFI de Manon Aubry obtient à Villeneuve-Saint-Georges 1.875 voix soit 39,18 % des exprimés, malgré une faible participation. Enfin Louis Boyard est réélu député de la circonscription en 2024 avec 3.901 voix et 55,90 % des exprimés au premier tour et 4.287 et 61,16 % au second, toujours dans la commune de Villeneuve-Saint-Georges. Qui dit mieux ? Dans combien de villes de France existe-t-il une situation aussi favorable ? Bien peu.

Manuel Bompard n’a raison que sur un point : c’est à tort que j’ai déclaré que cette élection était « imperdable ». La preuve, ils l’ont perdue !

Cette fois-ci, la liste Boyard n’a réuni que 1.046 voix (24,89 %) au premier tour et 1.897 (38,75 % ) au second de dimanche dernier.

Si LFI ne parvient pas, sur un terrain où elle réalise (avec la gauche en général) ses meilleurs scores nationaux, à gagner une élection municipale et ne réussit même pas à éviter une lourde défaite, elle doit s’interroger sur les causes profondes de son échec.

Impossible d’invoquer une mobilisation électorale insuffisante et les effets d’une forte abstention différentielle, comme c‘est souvent le cas dans une élection partielle. Il faut porter au crédit de la gauche et de LFI une participation électorale assez élevée pour un tel contexte, dès le premier tour, et supérieure par exemple à celle des dernières européennes. Et les six points de participation supplémentaires en moyenne du premier au deuxième tour se retrouvent à peu près aussi bien dans les bureaux de vote populaires plus favorables à la liste Boyard que dans les bureaux favorables à la droite. Par exemple, dans le meilleur bureau de la liste LFI la participation progresse de plus de cinq points d’un dimanche à l’autre.

Impossible aussi d’incriminer le reste de la gauche. Les électeurs de la liste PS-PCF-Écologistes du premier tour se sont massivement reportés sur la liste Boyard, sans doute dans une proportion proche de 90 %, et cela malgré le refus par LFI d’une fusion d’entre deux tours qui aurait respecté les équilibres du premier tour. Pour mémoire, la liste Henry arrivée deuxième à gauche avec plus de 20 % des voix n’avait que 176 voix de retard sur la liste LFI. Et quoi qu’en disent les dirigeants de LFI, les 96 bulletins blancs ou nuls supplémentaires d’un dimanche à l’autre, par ailleurs répartis dans tous les bureaux, n’expliquent pas la défaite de Louis Boyard par 502 voix d’écart avec la liste de droite arrivée première. Sans oublier le discrédit d’une droite locale déchirée par ses divisions et le salut nazi, en plein conseil municipal, du maire sortant, lequel a maintenu sa liste au deuxième tour contre son ancienne Première adjointe.

Les causes de la défaite de L. Boyard à Villeneuve-Saint-Georges sont ailleurs. Elles doivent tout aux fautes stratégiques de la direction de LFI. 

LFI a d’abord fait le choix d’une tête de liste peu fédératrice. Plutôt qu’une figure locale, engagée dans les mouvements sociaux et à l’image de la diversité de la population laborieuse de la ville - l’une d’elles, proche de LFI, faisait d’ailleurs consensus à gauche avant que L. Boyard ne se déclare -, la direction de LFI a imposé un député membre du cercle rapproché de Jean-Luc Mélenchon, sans expérience locale, professionnel de la politique depuis la fin de ses études. Puisque les ressources militantes étaient là, pourquoi les avoir reléguées aux positions de faire-valoir ?

LFI a ensuite fait le choix d’une campagne arrogante, cultivant de manière exacerbée la division de la gauche. Où est la pertinence d’afficher, en réunion publique, qu’aucune fusion n’aurait lieu entre les listes de gauche, puisque, disait la tête de liste « Ne rêvez pas, nous allons gagner dès le premier tour » ? Forfanterie ou aveuglement ?  Aucune analyse sérieuse ne validait ce diagnostic. Pourquoi alors humilier celles et ceux qui seraient pourtant nécessaires à un rassemblement impératif au deuxième tour ?

De même, aucun matériel électoral de second tour n’a été publié pour annoncer le soutien de l’autre liste de gauche. Daniel Henry, après avoir retiré unilatéralement sa liste, a dit clairement sur les chaînes d’information qu’il appelait à battre la droite et à voter pour la liste LFI au second tour. D’autres formations de gauche ont appelé à voter Boyard, dont l’APRÈS. C’est le cas aussi de députés socialistes, dans plusieurs médias. Aucune valorisation de ces soutiens n’a été faite, aucun tract, aucune affiche. Pourquoi ?

Sans doute parce que LFI a construit, jusqu’au soir du deuxième tour, une campagne identitaire, tout entière tournée vers la dénonciation des autres partis de gauche, en déployant un grand nombre de ses figures nationales, une kyrielle de députés et Jean-Luc Mélenchon lui-même, alors que les Villeneuvoises et Villeneuvois étaient appelé·es à se prononcer sur la composition d’une nouvelle équipe municipale qui réponde aux problèmes de la gestion quotidienne de leur ville.

La preuve est désormais faite que de tels choix sont incapables de fédérer largement les couches populaires. Ce n’est pas la mobilisation de la bourgeoisie, quasiment absente de Villeneuve-Saint-Georges – la ville la plus pauvre de son département – qui a battu Louis Boyard dimanche dernier. C’est l’incapacité de la liste LFI à convaincre qu’elle était plus utile que la majorité municipale sortante pour répondre aux aspirations des travailleurs et travailleuses des couches populaires et moyennes. L’arithmétique résiste : alors que LFI ne fait que retrouver, à quelques voix près, le total de voix des deux listes de gauche du premier tour, la droite en gagne plus de 800. La thèse bompardienne du « 4ème bloc » des abstentionnistes populaires qui viendraient renverser la table électorale au profit de LFI pourvu qu’on aille les chercher, est invalidée, conformément à la majorité des études des politistes sur la question.

Et nous disons cela, sans ignorer l’infecte campagne raciste d’extrême droite qui a été menée contre la liste Boyard. Mais cette médiatisation des attaques aurait pu mobiliser l’électorat de gauche et populaire, sensible au racisme. D’évidence, ce ne fut pas massivement le cas. LFI n’a pas su déclencher un « affect » en sa faveur. Il faut comprendre pourquoi car cela se reproduira à l’avenir, et l’extrême droite portera des coups violents contre toute alternative de gauche.

Jean-Luc Mélenchon a souhaité faire de Villeneuve-Saint-Georges le terrain d’essai de la stratégie de sa « nouvelle France Insoumise » pour les prochaines élections municipales de 2026 : fracturer la gauche, frapper d’abord les autres forces du NFP, moins pour conquérir des municipalités sur la droite ou l’extrême-droite que pour imposer sa candidature à la présidentielle de 2027 sur un champ de ruines. Il a perdu dimanche soir.

Désormais, l’hypothèse d’une désaffection d’une partie de son électorat en réaction à une stratégie qui pénalise la gauche tout entière doit être prise au sérieux.

Sera-t-il capable de l’entendre ? Pour l’heure, le choix de l’insulte et de la moquerie demeure. Me voilà encore traité de « général d’opérette » pour avoir osé faire entendre des critiques et « obtenir quelques heures au soleil médiatique ». Cela ne me vexe pas. Peut-être Manuel Bompard pense-t-il au « général Boum » d’Offenbach. L’opérette est un art populaire après tout, et je préfère sourire en pensant à quelques « députés boum boum » plus forts sur Tiktok qu’en tactique. Plus grave, des responsables de gauche sont désignés comme « traîtres », « lâches », « racistes », etc. Ce n’est pas acceptable. On doit pouvoir tirer collectivement les leçons d’un échec pour en éviter d’autres, sans être intimidé. La lucidité est une première condition pour bâtir les victoires de demain.

Si l’élection de Villeneuve-Saint-Georges pouvait ramener les dirigeants de LFI à la raison, leur défaite aurait au moins servi à quelque chose. Comme toujours, face aux évènements les plus complexes, faisons nôtre la devise du philosophe : « ni rire, ni pleurer, comprendre ».

 

par Alexis Corbière, cofondateur de l'APRÈS, député de la Seine-Saint-Denis

Publié par L’APRÈS le 04 février 2025