Nous savions tous que c’était une instance créée de mauvaise foi, Bayrou voulait gagner du temps, c’est sa seule politique, alors quand il a avoué, le 16 mars : « impossible de revenir à 62 ans », il a tué lui-même la diversion qu’il avait mise en place pour « faire passer » son budget. Et comme le RN qui n’a rien à faire, au fond, de nos retraites, gobait ça et ne voulait pas censurer Bayrou dans l’attente du procès des 4 millions d’euros détournés par Le Pen, l’affaire a été soldée.
La CGT-FO puis la CGT ont quitté très vite le fameux « conclave ». Pour la CFDT, Marylise Léon a conclu : « Le Premier ministre a rompu le contrat. Le conclave tel qu'il a démarré ne peut plus continuer."
Donc nous revoilà au point de départ, la retraite à 64 ans n’a aucune légitimité, elle n’a été votée nulle part, elle n’a toujours pas de majorité à l’Assemblée nationale, 95% des actifs lui sont opposés, la totalité des syndicats sont opposés. 68% des Français voteraient contre les 64 ans s’il y avait un referendum.
Pendant ce temps-là ils ont essayé de diffuser leur piètre propagande : mieux vaut des obus que la Sécu, une économie de guerre ne peut pas s‘accorder avec la remise en cause des 64 ans, de toutes façons il y a trop de déficit et de dettes. Et puis la dette est « pathologique », il faut trouver 40 milliards d’économies en 2026 dont 1/3 sur la protection sociale.
C’est pourquoi, pour nous, il est si important de clarifier : les retraites ne dépendent pas du budget de l’État, elles ne dépendent pas du budget de guerre.
Il y a trois budgets en France
La Cour des comptes compte mal. Exprès.
Elle ne compte pas par budget, elle additionne de façon délibérément brouillonne ce qu’elle appelle « les finances publiques », elle baratine dans le flou sur « les prélèvements obligatoires » et derrière ces expressions vagues, elle additionne des torchons et des serviettes, des choux et des poireaux, elle mélange les impôts qui vont à l’état, et les cotisations salariales qui vont à des organismes privés, les caisses de sécurité sociale.
Or le budget de l’État-Macron génère à lui tout seul 82% de la dette du pays, Macron a tellement baissé les recettes (impôts des riches) et tellement fait de cadeaux au CAC 40 et autres grosses entreprises (40% du budget) qu’il a produit 1000 milliards de dette supplémentaire depuis qu’il est au pouvoir en 2015. Si on en est à 3300 milliards de dettes, soit 115% du PIB, ce n’est pas à cause des retraites ni à cause de la Sécu, ni à cause des services publics, c’est à cause des déficits annuels de l’État Macron tous orienté vers la politique dite « de l’offre », c’est à dire au financement des grandes entreprises privées.
Les deux autres budgets, celui des collectivités territoriales et celui de la protection sociale, ne génèrent chacun que 9% du total de la dette du pays.
Or pour comparer, l’État-Macron a un budget de 500 milliards, celui des collectivités territoriales est de 280 milliards, celui de la Protection sociale est de 850 milliards.
9% seulement, c’est presque epsilon, 91% de l’endettement du pays ne provient pas des 850 milliards des caisses de la Sécu-Retraites, 9% proviennent des formes d’endettement sur les 280 milliards des collectivités territoriales. 82% proviennent du budget de l’État soit environ 2700 milliards sur un budget de 500 milliards, c’est énorme !
Voilà ce que la Cour des comptes de Pierre Moscovici ne veut pas révéler et qu’il faut éclairer devant l’opinion publique, aux yeux des 30 millions de salariés de notre pays. Que Macron et Bayrou travaillent à mieux équilibrer, puisqu’ils y tiennent tant, le budget de leur État d’abord, pas touche à nos retraites !
Le choix n’est pas entre les obus et la sécu !
Le choix est entre les impôts des riches et les obus ! Rejetons puissamment l’escroquerie intellectuelle et financière du Président du Medef qui parle de retraite à 67 à 70 ans, ou du Président de BPI France qui affirme que de 62 à 75 ans, « c’est du loisir, » et que la retraite réelle est à partir de 75 ans.
L’Union européenne de Mme Von der Leyen a annoncé qu’elle voulait se plier aux exigences de Trump et travailler à ce que les 27 pays européens aient 5% de leurs budgets consacrés aux armes, aux armées, à la guerre. Pour cela, elle a annoncé que les critères d’endettement de Maastricht seraient annulés. Elle propose de dépenser 850 milliards d’euros pour les armées et armements. Évidemment que tous les rapaces capitalistes se sont rués sur cette bonne idée qui va rapporter des centaines de milliards de surprofits au lobby militaro-industriel.
D’ailleurs pourquoi faire sauter les fameux critères de Maastricht pour la guerre et pas pour les besoins sociaux ?
Et pourquoi ce chiffre pharaonesque de 850 milliards alors que par comparaison la Russie de Poutine au bout de trois ans de guerre, dépense 109 milliards ?
La guerre exige l’impôt des riches ; que les riches qui ramassent gros paient gros.
Mais non, nos retraites ce n’est pas un impôt :
Un impôt ce n’est pas « pré affecté ». Un impôt c’est une recette. C’est l’Assemblée nationale qui en dispose et qui l’utilise, en votant, à la majorité simple, dans le budget de l’état. Un impôt c’est dans les caisses de l’état.
Or nos retraites c’est d’abord du salaire. C’est des cotisations sociales salariales. C’est du salaire brut. Ces cotisations sont pré-affectées, elles ne peuvent être utilisées pour autre chose que ce pourquoi elles sont collectées. Ces cotisations ne vont pas dans les caisses de l’état. Ces cotisations vont dans un budget séparé. Ce budget séparé n’est pas celui de l’état. Ce n’est pas un prélèvement public obligatoire : les cotisations vont dans les caisses d’organismes privés, créés pour les gérer.
Parfois les libéraux prétendent que les prélèvements en impôts et les prélèvements en cotisations c’est la même chose : mais alors quid des prélèvements des assurances privées ? Car les assurances privées (même obligatoires : automobiles…), ces mêmes libéraux ne les comptent jamais dans leurs « additions » de prélèvements obligatoires !
Parfois les libertariens expliquent qu’ils veulent gérer eux-mêmes leurs cotisations, genre « - Laissez-moi mon argent laissez-moi mon salaire brut, je m’en débrouille, je veux être libre d’en faire ce que je veux ». Sauf que normalement la Sécurité sociale était prévue comme ça en 1945 : c’étaient les assurés qui votaient pour gérer l’argent de leurs salaires bruts, ils en élisaient les gestionnaires tous les 5 ans. Et c’est cela que la droite a supprimé progressivement de 1966-67 à 1995 « - Trente ans d’anomalie » s’était écrié Alain Juppé en mettant fin aux élections aux caisses de sécurité sociale en novembre 1995. Et Juppé a alors « confié » la gestion des caisses à Bercy, c’est-à-dire en l’enlevant aux syndicalistes pour le donner aux hauts fonctionnaires chantres du capital, lesquels se sont précipités pour creuser des « trous » dans les caisses, fixer des objectifs à ne pas dépasser (« ONDAM : objectif national de dépenses de l'assurance maladie limité à 3,4% en 2025). Les libertariens veulent même « pouvoir cotiser à la mutuelle de leur choix » : près de 30 millions de salariés sont ravis de cotiser à la « grande Sécu » de leur choix et aux caisses de retraite (plutôt qu’à des incertaines assurances « complémentaires » chères et aléatoires).
Dans le pays où il existe ce « choix » individuel, aux US de Trump, « 60 000 états-uniens par an meurent parce qu’ils n’ont pas d’argent pour consulter un médecin. Un malade d’un cancer sur quatre fait faillite, ou vend son logement, les oncologues US appellent ça « financial toxicity » explique Bernie Senders, l’opposant de gauche aux US.
C’est valable pour toute mutualisation : plus vous avez de cotisants, moins vous avez de frais de gestion, plus vous avez de marges pour soigner des maladies couteuses et de longue durée prises en charge par la masse des cotisations collectives. C’est un système où l’individualisme est l’ennemi de la liberté et où le collectif prouve son efficacité : les libertariens sont prénéolithiques.
Tout le monde n’ayant pas un cancer, et tout le monde ne mourant pas au même âge, la mutualisation de la protection sociale est indiscutablement la solution : sauf que ça ne rapporte pas de superprofits aux capitalistes lesquels ne veulent pas rester privés de gérer 500 milliards pour la santé et 350 milliards pour les retraites.
Non, notre retraite, ce n’est pas une épargne
Ce n’est pas nous individuellement qui mettons de « l’argent de côté ». Nous n’y arriverions pas. Les plus pauvres, généralement ceux qui, meurent plus tôt, les ouvriers meurent 7 ans plus tôt que les cadres, et les pauvres meurent 13 ans plus tôt que les riches. Si un ouvrier ou un pauvre meurt plus tard il ne pourra jamais mettre assez d’argent de côté pour bénéficier d’une retraite décente jusqu’au bout. L’inégalité l’emporte cruellement si la retraite est individualisée, elle est compensée si elle est socialisée.
D’où l’absurdité du discours partisan de la capitalisation : « - Débrouillez-vous tout seul, placez de l’argent non pas dans un système public garanti, mais dans des fonds de pension, des banques privées, des actions capitalistes, c’est mieux ». Comment croire à cette façon de jouer au poker ? À l’heure des excentricités financières de Trump ? Avec ses taxes et sa guerre commerciale mondialisée, l’oligarque US régnant à Washington bouleverse les échanges, les fonds de pension et les rend encore plus aléatoires quant à leur rendement.
Ce ne sont plus seulement les crises de 1987 ou de 2008 qui percutent le niveau de l’épargne, des placements, des retraites privées, des dizaines de millions d’épargnants sont spoliés depuis des décennies, après que les scandales se succèdent pour les fonds Maxwell ou Murdoch, voilà maintenant Trump qui en rajoute. La capitalisation fait officiellement faillite : personne ne supporte d’être livré à pareils aléas ruineux. (Il y a même des films hollywoodiens comme Équalizer 3 ou le héros Denzel Washington est obligé d’aller traquer la Mafia en Italie pour récupérer la retraite détournée de son voisin, ouvrier du bâtiment). Dans l’affaire Apollonia, « la plus grande escroquerie immobilière et financière que la France ait connue » c’est 1 milliard d’euros détournés à des riches qui croyaient bénéficier d’une excellente retraite par capitalisation grâce à des juteux placements immobiliers.
Ce n’est pas vers les taxes, ni les impôts exceptionnels qu’il faut chercher la garantie de nos retraites : la seule chose qui ne soit pas aléatoire et qui crée de la valeur c’est le travail. Le travail est renouvelé sans cesse. C’est fiable, solide. La retraite basée sur le salaire est indéboulonnable : la cotisation ne peut pas être détournée, elle va de celui qui travaille à celui qui ne peut plus travailler, ça ne passe pas par une banque, ça ne passe pas par un fonds de pension, ce n’est même pas « différé » comme on dit parfois, ça se produit en temps réel, en direct.
D’où le fait que la retraite par répartition est puissante : elle dépend de la cotisation du salarié. N’allez pas chercher ailleurs, pas besoin, il suffit d’ajuster la cotisation à la prestation voulue. Si on veut 62 ans, on ajuste le taux pour 62 ans (Michaël Zemmour calcule que ça fait 0,15% de hausse des cotisations). Si on décide 60 ans, on ajuste à un taux légèrement supérieur. On calcule ce que ça représente pour la société, en espérance de vie en bonne santé, en consommation, en bonheur social.
C’est là que la démocratie doit intervenir : car s’il y a une telle vigilance depuis 1993 (première attaque massive de Balladur contre la retraite Mitterrand) face aux attaques répétées des capitalistes contre la retraite à 60 ans, c’est que le salariat considère cette question comme vitale. Les mobilisations ont été immenses et permanentes (2001, 2003, 2010, 2013, 2020, 2023…). Tout cela encourage le sentiment que les partisans patronaux et financiers de la retraite à 70 ans, « par points » ou par capitalisation, perdront.
Oui, un referendum, pour ou contre les 64 ans, nous le gagnerons massivement.
Gérard Filoche, le 24 avril 2025